Scandale Nestlé : les eaux en bouteille vont-elles disparaître à cause de la pollution des sources ?

L’affaire des traitements interdits utilisés par Nestlé pour ses eaux Perrier, Vittel, Hépar et Contrex, a mis en lumière le problème de la pollution des eaux souterraines.

Le scandale Nestlé a mis de l’eau dans le gaz. En janvier, Le Monde et Radio France révélaient les traitements et filtrages interdits utilisés par quatre marques d’eaux minérales : Perrier, Vittel, Hépar et Contrex, appartenant toute au géant suisse. Nestlé, confronté encore ce mercredi 24 avril à une contamination d’origine fécale dans l’une de ses exploitations, a en effet dépassé les réglementations, au moins jusqu’en 2021, sans que l’État ne lève un petit doigt.

Nestlé détruit des stocks de Perrier à cause d’un risque de contamination après la tempête Monica

Cette affaire a sorti de terre la source même du problème : les eaux souterraines sont de plus en plus polluées, mettant de fait en péril l’avenir des eaux en bouteille. Rappelons-le, il y a deux grands types d’eau en bouteille commercialisés dans les supermarchés : « les eaux minérales qui ont des vertus médicamenteuses, puisées dans des gisements souterrains qui ont des interactions avec les roches, et les eaux de source qui sont vendues pour leur pureté naturelle », explique au HuffPost Luc Aquilina, hydrogéologue. Les deux sont censés être très peu traitées, et c’est ce qui fait leur différence avec l’eau qui coule de nos robinets.

« Les eaux minérales et de source n’ont pas le droit d’avoir des traitements désinfectants ou qui vont éliminer des pesticides, contrairement à celle du robinet. Les industriels peuvent uniquement recourir aux traitements physiques pour éliminer les éléments instables ou indésirables qui sont naturellement présents dans l’eau, comme le fer ou l’arsenic », abonde au HuffPost Sophie Besnault, ingénieure spécialisée dans le traitement de l’eau à l’Inrae.

Nestlé n’aurait donc pas dû commercialiser des eaux avec l’appellation « minérales » ou « de source », en opérant des traitements spécifiques à l’eau potable du robinet. La multinationale a pourtant commercialisé pendant plusieurs années « 100 fois plus cher une eau en bouteille similaire à celle du robinet », souligne Luc Aquilina.

Si Nestlé a joué dangereusement avec les normes, c’est que la firme se retrouve dans l’embarras pour commercialiser ses eaux naturelles puisées à la source, alors même que les scientifiques constatent une aggravation de la qualité de nos eaux souterraines.

« Une intensification des activités humaines et des conditions météorologiques de plus en plus difficiles autour de nos sources peuvent occasionnellement avoir un impact sur la stabilité des caractéristiques essentielles de nos eaux minérales naturelles dans certains forages », admet à cet égard Nestlé Waters France, interrogé par Le HuffPost. L’entreprise assure également avoir renforcé ses contrôles pour « garantir la sécurité et la qualité de [ses] produits ».

Derrière les « activités humaines » polluantes évoquées par Nestlé, on retrouve en premier lieu l’agriculture intensive. « Les engrais minéraux, comme l’azote et les nitrates » et les « engrais organiques, issus des déjections animales », utilisés par les agriculteurs pour détruire des champignons ou des plantes, se retrouvent dans les eaux souterraines, déplore Luc Aquilina. Sans parler des rejets de « pesticides, et leurs produits de dégradations », ou de résidus de médicaments donnés aux animaux d’élevage.

« On ne peut pas affirmer qu’on va attraper une maladie en ayant bu de la Vittel toute sa vie. » Luc Aquilina, hydrogéologue

À cela s’ajoute des polluants émergents, « comme les microplastiques », ou encore les PFAS, poursuit le professeur en sciences de l’environnement à l’université de Rennes. Les per-et polyfluoroalkylées, des polluants dits « éternels » pour leur inquiétante longévité, sont utilisés depuis les années 1940 par l’industrie du textile, ou pour fabriquer des emballages, et des ustensiles de cuisine. Ils sont désormais omniprésents dans les eaux. « Il y a également des pollutions qui sont dues au ruissellement des hydrocarbures sur les voiries, lié à l’urbanisation », ajoute Sophie Besnault.

Ce cocktail de molécules dans l’environnement a de quoi inquiéter, d’autant « qu’on a du mal à quantifier les risques pour la santé, pointe Luc Aquilina. On sait analyser la toxicité d’un polluant de manière isolée, à forte dose et sur une période courte. Mais on connaît moins bien l’impact d’un polluant présent à faible dose sur une durée longue, et encore moins bien le danger du cumul de molécules présentes à faible dose sur le long terme. » Ce dernier cas de figure, c’est ce que l’on vit au XXIe siècle : on est envahi de pesticides, sans savoir avec certitudes leurs conséquences sur notre santé.

« Arrêter la production d’eau en bouteille, en termes d’impact pour l’environnement, ce serait le mieux. » Sophie Besnault, ingénieure à l’Inrae

« On ne peut pas affirmer qu’on va attraper une maladie en ayant bu de la Vittel toute sa vie, c’est plus insidieux. C’est l’effet de cumul des pesticides dans l’eau, l’alimentation, l’air, qui constituent un danger », insiste l’hydrogéologue. Et rappelle que la problématique de la pollution des eaux souterraines dépasse malheureusement le problème des industriels qui n’utilisent que « quelques gisements par rapport à la quantité totale des eaux prélevées pour la consommation des Français. »

Si la concentration de ces pesticides dangereux augmentent dans les eaux des entrailles de la terre, comment va faire l’industrie des eaux en bouteille qui ne peut pas les traiter ? « Soit il faudrait changer la réglementation pour permettre les traitements, mais il faudrait informer le public qu’il achète une eau de même qualité que celle du robinet. Soit arrêter la production d’eau en bouteille, en termes d’impact pour l’environnement, ce serait le mieux », répond l’ingénieure Sophie Besnault.

Pour Luc Aquilina aussi, le futur n’est pas à l’eau en bouteille. Elles sont plus coûteuses, et « génèrent des gaz à effet de serre et du plastique », argue le spécialiste des eaux souterraines, qui rappelle que l’eau du robinet est « extrêmement surveillée et de bonne qualité dans l’Hexagone, surtout dans les grandes agglomérations ». Les Français d’Outre-Mer n’ont en revanche pas cette chance, l’eau du robinet étant notamment contaminée au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique.

De son côté, Nestlé Waters croit encore en son modèle. La filiale du géant suisse affirme améliorer la protection de ses sources, grâce à la mise en place d’un « dispositif de filtration combiné à un programme strict de nettoyage des circuits d’embouteillage ». Et promet : « La transformation que nous menons vise à continuer à proposer aux futures générations des eaux minérales qui font partie de l’histoire de nos territoires et de notre patrimoine. » Mais les activités humaines polluantes mettront peut-être elles-mêmes un point final à l’idylle des Français avec l’eau en bouteille.

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